Douze millénaire plus tard, au XVIII ème siècle, l’Histoire frappe à nouveau à la porte d’Étiolles en la personne de Jeanne-Antoinette Poisson. C’est à la Seigneurie d’Étiolles qu’elle a rêvé et forgé son destin de favorite de Louis XV.
Dans l’ouvrage fort érudit et parfaitement documenté de Jean Nicolle : « Madame de Pompadour et son temps » – Edition Albatros – l’auteur retrace avec précision les circonstances et le parcours qui expliquent comment une fille de moyenne bourgeoisie _ réussit à se hausser à la position éminente de second personnage de la monarchie. Son père « putatif », François Poisson était entré au service des Frères Paris, puissants financiers contrôleurs des subsistances aux armées.
Sa mère, de bonne famille aussi, Louise Madeleine de la Motte, beauté accomplie, était fort courtisée par un des frères Paris, le cadet dit Montmartel… Elle n’était pas cependant un bon parti pour un homme de son importance. Il n’était pas non plus question qu’elle eut un amant. Par contre, dans la société de l’époque, l’adultère était chose bénigne. Montmartel réussit à convaincre leur commis, François Poisson, devenu veuf, d’offrir à ses amours ancillaires, un paravent commode.
Le contrat de mariage fut signé le 6 octobre 1718, cérémonie présidée par le Régent, Duc d’Orléans, débiteur des Frères Paris.
L’idylle avec Montmartel prit fin lorsque celui-ci décida d’épouser Marguerite Françoise Megret, fille d’un financier de premier plan, le 6 janvier 1720. Il fut tout heureux de se trouver un successeur en Charles François Paul Lenormand de Tournehem. En étroites relations d’affaires avec les frères Paris, et amoureux transi de ma belle Louise Madeleine.
Le 30 décembre 1721 naquit à paris une fille baptisée Jeanne Antoinette Poisson. La concordance des dates ne laisse aucun doute sur l’identité du vrai père : Lenormand de Tournehem. Quelle est donc l’ascendance de Charles François Paul Lenormand de Tournehem ?
Antérieurement au XVIII ème siècle, cette grande famille était installée dans l’Orléanais. Fort ancienne bourgeoisie, nombre d’entre eux avait accédé à la noblesse grâce aux charges qu’ils assumaient.
Charles Lenormand, né en 1634, fût le premier du « Rameau d’Étiolles ». Fermier général à part entière et grand brasseur d’affaires, il épouse à 35 ans Marie Parthon, fille du chirurgien du Roi. Elle lui donna 6 enfants : 3 filles et 3 garçons, dont Charles François Paul.
Charles Lenormand achète successivement deux petits domaines : celui du Fort de Tournehem, place forte démantelée en Artois. Le premier lui permit d’accoler à son nom « du Fort ».
Le second sera repris par son fils Charles François Paul, celui qui jouera le rôle principal dans la vie de Jeanne Antoinette Poisson.
En 1684, Charles du Fort acquiert le domaine d’Étiolles, comprenant entre autres, un grand manoir appelé « la Grande Maison », rasé lors de la construction de la Résidence des Bois du cerf, en 1963. Cet achat était destiné à préparer son accession à la noblesse, attendue de l’acquisition de la charge de secrétaire du Roi. D’autres transactions lui permirent d’arrondir ce domaine et de devenir Seigneur d’Étiolles.
Son fils, Charles François Paul Lenormand de Tournehem, très doué pour les affaires, d’abord associés à son père, lui succédera dans sa charge de Fermier Général, à sa mort, le 28 mai 1712. Il réglera souverainement la succession de son père et recevra, entre autres biens, le domaine d’Étiolles.
En 1727, Tournehem acquiert un domaine contigu, séparé par le Vieux Chemin de Pris et comprenant le château et fief du Bourg.
Il fit raser cette vieille bâtisse, construite en 1584, pour édifier un beau château tout neuf, plus vaste et plus somptueux, aujourd’hui disparu. Il réunit ce domaine à celui de la Grande Maison en supprimant tout simplement le Vieux Chemin de Paris au grand dam des villageois.
Derrière cette vaste entreprise, il y avait bien -sûr Jeanne Antoinette, qui vivait chez ses parents à Paris. En 1726, elle avait 5 ans, la disparition du Régent le Duc d’Orléans, remplacé par le Duc de Bourbon, plongea les Frères Paris dans de graves difficultés financières.
Trop importants pour être poursuivis, c’est François Poisson, dûment manipulé, qui servit de bouc émissaire et dut s’enfuir en Allemagne, à Hambourg, où il séjourna dix ans.
La famille Poisson fut toute heureuse de trouver en Tournehem un généreux protecteur qui, dès lors, s’afficha ouvertement comme le tuteur de la famille. Il put enfin régenter à sa guise l’existence et l’éducation de sa fille Jeanne Antoinette, dont le charme et l’intelligence semblaient prometteurs.
Tournehem, amateur d’art éclairé, l’associa étroitement à l’édification et à la décoration du château Neuf du Bourg et lui prodigua les meilleurs professeurs et les meilleurs artistes. Quand elle manifestera un goût certain pour le théâtre, il n’hésitera pas à lui en aménager un dans une dépendance de la Grande Maison.
Ne pouvant l’épouser, mais désireux de lui léguer la totalité de ses biens, la meilleure solution pour Tournehem était de la marier à son neveu Charles Guillaume, fils de son frère aîné Hervé Guillaume. Tournehem rédigea donc un testament olographe désignant Charles Guillaume Lenormand d’Étiolles, comme légataire universel et seul héritier de tous ces biens, le 15 décembre 1740. Le contrat de mariage fut signé le 4 mars 1741 et la cérémonie eut lieu le 9 en l’église Saint Eustache à Paris.
Il s’engageait également à entretenir le jeune ménage, manifestant ainsi sa volonté de conserver Jeanne Antoinette auprès de lui. Celle-ci d’ailleurs se souciera fort peu de son époux et s’adonna pleinement à la vie fastueuse que lui faisait mener Tournehem.
La conquête de Louis XV, elle, tient du conte de fées. Louis XV, grand chasseur, avait acquis, en 1740, le château de Choisy pour chasser dans les forêts de Sénart et de Rougeaux.
La nécessité de disposer à pied d’œuvre de ses troupes et de ses équipages, l’amena à solliciter l’hospitalité des châtelains riverains, dont Tournehem, seigneur d’Étiolles. En compensation, ceux-ci étaient autorisés à suivre ses chasses. Jeanne Antoinette, toute à son ambition, eût donc la possibilité d’approcher le Roi. Elle n’avait toutefois aucune chance contre la favorite en titre, la Duchesse de Châteauroux.
Deux faits se conjuguèrent pour lui livrer la place !
Arrivé à Metz, en août 1744, pour conduire la campagne de Rhénanie, Louis XV tomba gravement malade. Très croyant et redoutant la mort, il se soumit aux exigences de son premier aumônier : répudier la Duchesse et se réconcilier avec la Reine.
En septembre, reprenant lentement vie, de retour à Versailles, sa solitude sentimentale commença à lui peser. Conjonction providentielle ou fortuite, la Duchesse de Châteauroux tomba malade et mourut le 8 décembre de la même année. La voie était théoriquement libre pour Jeanne Antoinette, mais elle et son père, n’avaient pas accès à la Cour.
Un probable complot, ourdi dans l’entourage de Louis XV qui n’avait pas été insensible, au cours de ses chasses à Choisy, aux charmes de la « Nymphe de Sénart », facilitera leur rencontre.
Ce serait au bal de l’Hôtel de Ville, le 25 février 1745, que Louis XV aurait succombé.
En avril, tout étant réglé entre les deux amants, Jeanne Antoinette décida de se séparer de son mari et quitta Étiolles. Après l’achat de la Seigneurie de Pompadour, Louis XV conférera à sa maîtresse un brevet de marquise. Elle accédera au titre de Duchesse en 1752.
Il n’est pas de notre propos de retracer ici la « carrière » de la Favorite dont l’idylle avec Louis XV durera vingt ans.
Disons simplement, et tout à l’honneur de la Marquise, qu’elle n’oubliera pas sa famille et entendait bien que son père continuât à partager sa vie et, dorénavant sa gloire.
Elle le fit nommer, en temps opportun, Directeur des Bâtiments du Roi, avec comme successeur son frère Abel François, un légitime Poisson, celui-là.
Tournehem remplit brillamment cette lourde charge, équivalente au Ministère des Beaux Arts aujourd’hui.
Elle le mettait en contact permanent avec Louis XV, grand bâtisseur, qui ne tarda pas à vivement apprécier et l’homme et ses compétences.
Vous trouverez ci-contre le plan géométrique de la Seigneurie d’Étiolles et fiefs attenants, tiré du « Terrier » de la Paroisse, daté de 1777, reçu en héritage par son neveu Charles Guillaume dit Lenormand d’Étiolles.
(Texte de Pierre Postel)